Le besoin
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Le besoin

Rendre la lecture accessible aux enfants dyslexiques

Je suis responsable pédagogique dans une école où sont scolarisés plusieurs enfants dyslexiques.

En France, 8% à 10% de la population est dyslexique. Tout comme les autres troubles "DYS" (dyscalculie, dyspraxie, dysorthographie), la dyslexie est un trouble d'apprentissage d'origine neurologique. Elle se caractérise chez l'enfant par une difficulté à décoder des mots écrits. Cela peut se manifester de diverses manières, notamment par l'inversion de plusieurs lettres au sein d'un même mot ou bien la confusion d'un mot avec les mots précédents ou suivants. Cette difficulté engendre des répercussions significatives sur la vitesse et la compréhension de la lecture.

Quelle solution puis-je mettre en place au sein de l'école pour faciliter l'apprentissage de ces enfants au quotidien ?

La solution

Une boite à outils d'aide à la lecture

Lors d’une lecture, la forme écrite des mots va être associée à leur forme orale. Cette association est particulièrement difficile à effectuer chez les enfants dyslexiques. L’objectif est donc de mettre en place une solution comprenant différents outils afin d’aider à la compréhension du texte lors de la lecture.

Rassembler des livres numériques de divers niveaux scolaires

La première étape consiste à trouver des livres numériques qui vont bénéficier des outils d’aide à la lecture. Ces livres sont déjà existants et adaptés au niveau d’apprentissage et de compréhension de chaque enfant en fonction de son âge. Il est donc possible d’acheter des droits directement auprès des éditeurs afin d’obtenir l’autorisation d’adapter les livres utilisés en classe par les enseignants ou conseillés par les documentalistes. Les enfants pourront ainsi choisir entre le format papier classique et le format numérique optimisé pour faciliter leur lecture.

Comprendre et automatiser le travail manuel effectué par les orthophonistes autour de la rhèse

Pour comprendre les difficultés liées à la dyslexie et les solutions pertinentes à mettre en place auprès des enfants, la meilleure option est de partir du travail effectué par les orthophonistes pour les accompagner. Ces professionnels de santé spécialisés dans l’aide aux personnes présentant des troubles liés à la communication écrite et orale recommandent notamment d’utiliser la rhèse pour faciliter la lecture et sa compréhension dans le cadre d’un trouble dyslexique. La rhèse est une unité de sens assez courte qui correspond à une période intonative, c’est-à-dire à un ensemble de mots prononcé en un seul souffle. Lire un texte avec des lignes courtes et séparées de façon sémantique va en effet aider l’enfant à se représenter une image mentale du texte. Si un texte est coupé au mauvais endroit, alors l’enfant risque de partir sur une mauvaise image mentale.

Ex : Paul est en train / de faire des bêtises. | Paul est en train de faire des bêtises.

Dans le premier exemple, l’enfant risque spontanément de visualiser Paul dans un train plutôt qu’« en train » d’effectuer une action tandis que dans le second, la phrase correspond à une seule et même rhèse non coupée, elle est donc perçue comme un ensemble cohérent et correspond à une image mentale différente. Le découpage doit donc être effectué avec vigilance et pertinence.

La rhèse sert aussi à caler la narration : il ne faut pas effectuer une intonation descendante aussi marquée qu’avec un point en fin de phrase mais la rhèse doit être marquée de manière audible.

Pour découper le texte en rhèses, les orthophonistes utilisent généralement des feutres, des ciseaux ou encore des marqueurs. La problématique principale va donc être d’automatiser le travail jusqu’ici effectué manuellement par chaque orthophoniste auprès de leurs patients respectifs afin de créer des outils numériques capables d’aider de nombreux enfants dyslexiques en difficulté, à l’échelle nationale et internationale.

Mettre en place différents outils d’aide à la lecture

Découpage en rhèses et mise en surbrillance

Pour découper au mieux un texte en rhèses, la définition de règles syntaxiques ne suffit pas car il faut bien souvent prendre en compte le sens particulier d’un mot ou d’une expression en contexte pour assurer que le découpage n’induise pas en erreur. Il est donc plus efficace de recourir à un modèle d’apprentissage profond (Deep Learning en anglais) pour manipuler la notion de rhèse avec la souplesse nécessaire. Celui-ci est entraîné sur 200 livres déjà annotés manuellement afin d’identifier et découper automatiquement les rhèses dans un texte. A cela s’ajoutent une identification des groupes de mots insécables et une vérification de la syntaxe de chaque phrase afin de consolider la pertinence du découpage.

Exemple de texte littéraire découpé en rhèses
Source : Mobidys

La mise en surbrillance des différentes rhèses va ainsi contribuer à effectuer une lecture efficace : plus fluide d'une part, en indiquant à quel moment reprendre naturellement son souffle, et mieux comprise aussi en reconnaissant les groupes de mots qui font sens et participent au sens général de la phrase.

Lecture audio synchronisée au texte, en continu ou sélective

La lecture audio synchronisée au texte est un deuxième outil utile à mettre en place pour aider l’enfant dans sa lecture. En effet, le soutien audio est le moyen de compensation du trouble du langage écrit (dyslexie). Par ailleurs, la synchronisation va permettre ce travail d'association forme écrite/forme orale et contribuer à la mémorisation du lexique orthographique dans sa forme globale.

Lecture audio synchronisée au texte
Source : Mobidys - livre Frog
Lecture audio avec découpage du texte en rhèses
Source : Mobidys - livre Frog

Cette lecture audio est enregistrée par des narrateurs professionnels, les voix sont donc entièrement humaines. C’est une lecture à la rhèse, ce qui va venir renforcer le découpage visuel du texte effectué par l’outil précédent.

La difficulté principale de mise en place de cet outil est la synchronisation de l’audio et du texte car le moindre décalage pourrait casser les rhèses.

Masque de lecture

Enfin, un troisième outil peut venir faciliter la concentration lors de la lecture : le masque de lecture. En effet, lorsqu’un enfant lit, sa pathologie peut entraîner une confusion entre les mots précédents et suivants et brouiller l’ordre des mots établi. Le masque de lecture permet alors de faire abstraction du reste du texte pour concentrer le regard sur une seule rhèse, ce qui va limiter les confusions et l’éparpillement dans le traitement cognitif des mots.

Exemple de masque de lecture focalisé sur une rhèse
Source : Mobidys - livre Frog

Les besoins des enfants dyslexiques étant multiples et complexes, d’autres outils peuvent aussi être mis en place, comme la mise en valeur des syllabes au sein d’un mot pour éviter de mélanger les lettres entre elles ou encore une taille de police modulable pour un plus grand confort de lecture.

L’automatisation des outils et stratégies mis en place par les orthophonistes durant des années pour accompagner les enfants dyslexiques dans leur apprentissage est désormais rendu possible grâce au traitement automatique des langues (TAL) et à un intérêt grandissant pour les pathologies "DYS".

Points d'attention

Cette solution fonctionne bien sur des textes en prose classiques mais peut être plus difficile à appliquer sur des types de texte spécifiques comme la poésie en vers (rhèse qui se termine sur la ligne suivante) ou un contenu rédigé dans une orthographe non conventionnelle : langage SMS, transcription d’un accent, langue archaïque…

Par ailleurs, sans contexte, il peut parfois y avoir des ambiguïtés linguistiques qui rendent plus complexe le découpage automatique en rhèses.

Enfin, dans le cadre d’une couverture multilingue, cette solution nécessite un grand nombre de corpus pour être étendue à d'autres langues. Elle est aussi adaptable à des variantes régionales comme le français canadien en s’appuyant sur un lexique de termes et expressions dédié.

Par Angeline Lacassagne
Linguiste informaticienne